Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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MONJAUZE Alexis (1906-2001)

Alexis Monjauze nait le 18 avril 1906 à Paris ; il y passe toute sa jeunesse dans le quartier des Buttes Chaumont où son père exerce la profession de médecin. Aîné de cinq enfants, il est pris en charge avec son frère Fernand par ses grands parents tandis que les trois plus jeunes, Lucie, Paul et Jean sont élevés par leurs parents. Il fait ses études secondaires aux Francs Bourgeois et passe son bac très jeune avec mention. Il entre à l’Institut National Agronomique en 1924 et choisit ensuite d’intégrer l’Ecole National des Eaux et Forêts à Nancy ; il en sort ingénieur des Eaux et Forêts en 1928.

Il choisit alors de servir en Algérie où il accomplira la plus grande partie de sa carrière, de 1929 à 1970, traversant les périodes difficiles de la seconde guerre mondiale et de la rébellion qui conduisit à l’indépendance du pays. Il y retrouvera son frère Fernand, médecin comme son père, dont il restera toujours très proche.

Il est d’abord affecté à Djidjelli, puis est nommé en 1934 responsable forestier de la « chefferie » (aujourd’hui « Wilaya ») de Djelfa, dans la partie du département d’Alger appartenant à l’Atlas saharien. Il s’y marie en octobre 1935 avec Marguerite-Marie de Sallmard de Ressis, fille d’un officier, capitaine de spahis, et d’une mère peintre des paysages des déserts. Trois garçons y naissent de leur union.

Son expérience et ses observations de la dégradation récente des anciennes forêts de chêne liège et de pins d’alep dans cette partie pré-désertique et entièrement couverte d’alfa, font très tôt de lui un spécialiste reconnu du reboisement des zones arides et plus généralement de la conservation et du développement rural dans les régions de nomadisme pastoral.

En 1940 il est nommé à Tlemcen où il est chargé de protéger les forêts et les bassins versants, mais aussi de fournir du bois à l’armée ; sa zone d’action comprend la région d’Oran et de Nemours. En 1947 il est affecté à la chefferie de Blida à une cinquantaine de kilomètres au sud d’Alger ; la famille, agrandie de deux filles, habite sur les hauts d’Alger, au sein d’une forêt où un ami du père de Foucault, le Commandant Cauvet, a créé un parc de plusieurs hectares.

C’est en grande partie sur la base de ses expériences réussies de restauration des terres et de plantations forestières dans ces deux régions que se fondera la doctrine de ce qui deviendra une activité majeure des forestiers en Algérie, à savoir la Défense et Restauration des Sols (DRS) ; elle conjugue des travaux de préparation des sols de pente (gradins ou banquettes) et leur mise en valeur par des reboisements ou des activités agricoles.

Il devient en 1960 chef du Service des Eaux et Forêts qui, l’année précédente, avait fusionné avec celui de la DRS. A la direction centrale du service des forêts il est chargé des questions économiques et techniques, responsable de la diversification des actions forestières ; il y fait mettre en application de nouvelles théories et techniques de sa conception, comme celle de la rénovation rurale.

Depuis quelques années, il travaillait aussi pour la FAO ; comme expert, il voyage notamment en Iran et en Israël, là où ses théories de reboisement en zones arides et semi arides s’appliquent. Plus tard, après l’indépendance de l’Algérie, il sera l’un des initiateurs du projet « Algérie 16 » de protection et de mise en valeur d’une importante zone autour de Bouïra.

En 1963, il devient conseiller technique du premier directeur algérien du service forestier et reste dans ce poste jusqu’en 1968 avant de prendre la direction, toujours en Algérie, d’un projet multilatéral de développement rural.

En 1970 s’achève la partie algérienne de sa carrière. Il a su y appliquer et y faire appliquer des conceptions originales, voire visionnaires, pour restaurer et mettre en valeur d’immenses étendues de terres dégradées et contribuer ainsi significativement au développement des régions les plus déshéritées du pays.

En 1971, sa carrière prend une orientation nouvelle avec sa nomination au poste de directeur du parc national des Cévennes qui vient d’être créé par décret du 2 septembre 1970. Pendant trois ans il va employer son allant et sa créativité à mettre en place les structures du parc et, selon ses propres termes, « à élaborer et commencer à mettre en œuvre une doctrine adaptée à un nouveau type de parc national : une doctrine qui permette à la fois de préserver, voir d’améliorer un patrimoine biologique, de préserver le caractère de paysages façonnés par des siècles d’occupation et d’activités humaines, de préserver et de restaurer un important patrimoine architectural et rural, tout en maintenant une présence humaine vivante, c’est à dire des gens du pays vivant chez eux, dans des conditions économiques propres à les satisfaire, en nombre suffisant pour y maintenir l’esprit, le souffle et la source intellectuelle de l’attachement et du souvenir ».

C’était, et cela le reste quarante ans plus tard, non seulement les objectifs du parc, mais aussi une véritable gageure ; les risques de divergences entre ces objectifs restent en effet très forts, et tout l’enjeu du parc réside dans la capacité collective des acteurs de ce territoire à les maitriser.

Cela voulait dire, notamment, pour A. Monjauze :

 que « le parc ne peut devenir réellement parc que par la volonté de ses habitants »

 que « le succès d’un parc national habité par une population en plein désarroi économique ne peut se réaliser sans investissements importants et un certain contrôle foncier ».

Quarante ans d’histoire du parc, de ce qu’il a vécu, de ce qu’il a fait, de ce qu’il n’a pas fait ou pas pu faire, nous montre aujourd’hui toute la perspicacité de cette vision .

Homme de réflexion, Alexis Monjauze était aussi un homme d’action. Il a, avec les partenaires historiques du parc, commencé à mettre en œuvre cette vision et cette doctrine par un certains nombres d’actions concrètes dont certaines ont marqué l’histoire du parc :

  les « contrats Mazenot », du nom du sous-préfet de Florac qui en fut le concepteur ; par ces contrats, le parc confie à des agriculteurs de son territoire ou de sa proche périphérie la réalisation d’actions d’entretien de la nature ou du petit patrimoine rural, ou encore d’entretien de sentiers pour la découverte de son territoire ; il les associe ainsi à son action, en contrepartie d’une rémunération qui les aide à se maintenir dans leur activité principale d’agriculteurs, et donc à maintenir la vie sur le territoire du parc et à en entretenir les paysages ;

  « l’opération hameaux » : avec la même finalité que les contrats Mazenots, le parc aide des agriculteurs de son territoire ou de sa proche périphérie à restaurer des bâtiments anciens dans le strict respect de l’architecture traditionnelle, et à les aménager en gites ruraux de qualité. Il contribue ainsi par ailleurs directement à ses objectifs de préservation du patrimoine bâti et d’accueil sur le territoire du parc ;

  la création au sein de l’administration du parc d’un important service culturel, confié à un professionnel, pour mettre en œuvre une action culturelle forte, et originale au sein des parcs nationaux français ;

  L’affectation, aux agents de terrain du parc, de chevaux pour la réalisation de leurs missions de surveillance. Alexis Monjauze entendait, de cette façon, affirmer l’originalité et la spécificité du parc des Cévennes par rapport aux autres parcs nationaux français et donner une impulsion à la pratique de la randonnée équestre sur le territoire du parc et de sa périphérie. La grande course annuelle d’endurance équestre de Florac est directement issue de cette implication du parc initiale du parc dans les activités équestres.

Sa forte personnalité et ses idées originales lui valurent aussi localement quelques inimitiés qui contrarièrent son action.

En 1974, Alexis Monjauze est nommé inspecteur général de l’environnement chargé des parcs et des réserves. Cette fonction va bien à l’homme de réflexion qu’il est. Il travaille notamment à une réforme du statut des parcs nationaux et proposera à ce titre la création d’un institut des parcs et réserves. Mais ses propositions ne seront pas reprises par le ministre de l’Environnement et du Cadre de vie, Michel D’Ornano, qui préfère alors faire aboutir la création du parc national du Mercantour, poursuivre l’étude d’autres projets de parcs et mettre en œuvre la loi de 1976 sur la protection de la nature, plutôt que s’engager dans une réforme en profondeur de l’administration des parcs et de leur gouvernance.

Il prend sa retraite en avril 1977, mais restera néanmoins actif pendant de nombreuses années encore, notamment en participant au comité scientifique du parc national des Cévennes et en rédigeant de nombreux articles sur le milieu naturel et le développement en Algérie.


Par Guy Beisson
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