Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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FLORENT Jacques (1928-1996)

Jacques Florent naît le 2 juillet 1928 à Marseille. Ses parents, instituteurs, lui assurent, ainsi qu’à son frère Gilbert de cinq ans son cadet, une vie équilibrée et une formation qui leur permet de brillantes études et un parcours professionnel exemplaire. Tous les deux polytechniciens, Jacques, X 1948, entre à l’École nationale des eaux et forêts à Nancy en 1951 et Gilbert, X 1953, opte pour le Génie maritime. Dans la 125ème promotion forestière, Jacques, surnommé « le petit » en raison de sa taille, est apprécié de ses collègues, dont Jean Servat, futur directeur de la Protection de la Nature, pour son humour et sa forte personnalité.

A sa « sortie », sa carrière comporte quatre périodes spécifiques durant lesquelles il donne la mesure de son talent : l’épopée algérienne de 1953 à1960 ; l’Administration des eaux et forêts à l’ONF dans les Hautes-Alpes de 1960 à 1967 ; l’engagement pour les parcs nationaux des Écrins et du Mercantour de 1967 à 1985 et enfin la Mission d’inspection spécialisée de l’environnement de 1985 à 1989.

Affecté le 1er octobre 1953 à la chefferie d’El Milia, puis à celle de Collo, de la Conservation de Constantine sous le Gouvernement général de l’Algérie, ses activités de forestier méditerranéen sont centrées sur le reboisement, la défense et la restauration des sols (DRS) et la gestion des boisements existants. Sans oublier son rôle de chef de ses collaborateurs pour lesquels il a conçu, notamment, des maisons forestières et un cours de botanique et de géographie forestières appliquées à l’Algérie.

Marié en 1951 avec Monique et père de deux enfants nés en 1954, Martine, et en 1956, Frédéric, il vit avec angoisse la dégradation de la situation algérienne et est heureux de retourner en métropole en 1960. Pendant quelques mois, il a une affectation d’attente à la direction générale des Eaux et Forêts à Paris ; homme de terrain, il n’en garde pas un bon souvenir. Il est ensuite nommé chef de l’inspection Restauration des terrains en montagne (RTM) de Gap à la 31ème Conservation des eaux et forêts en 1961. Durant deux ans, il se préoccupe de la prévention des risques naturels des Hautes-Alpes et, plus particulièrement, de la correction torrentielle où il est l’inventeur du premier barrage auto-stable, réalisé à Espinasses sur le torrent du Merdarel.

Parallèlement, il assume les fonctions de secrétaire général du syndicat des ingénieurs des Eaux et Forêts pour faire valoir les préoccupations et aspirations des forestiers, au moment où Edgard Pisani, ministre de l’Agriculture, envisage la réforme de ses services avec la création de l‘Office national des forêts (ONF) et la fusion des 3 corps d’ingénieurs, des Eaux et forêts, du Génie rural et des Services agricoles en celui du Génie rural, des Eaux et des Forêts (GREF). En 1963, il est chargé de l’inspection des Eaux et Forêts de Briançon qui devient centre de gestion de l’ONF deux ans après. Là, il se spécialise, entre autres, dans la gestion des mélézins et de la pisciculture domaniale de La Roche de Rame, où se confirme sa passion pour les salmonidés et leur pêche dans les lacs d’altitude.

Le 27 avril 1965, le ministre de l’Agriculture, Edgard Pisani, lui confie la mission d’étudier la faisabilité d’un parc national dans le massif du Pelvoux et de l’Oisans tout en le maintenant dans ses autres fonctions. Jacques Florent, connaissant bien la région, conclut positivement mais en préconisant l’exclusion de la vallée de la Guisane et de celle de la Clarée. Une note du 4 octobre 1965 du préfet de l’Isère, Maurice Doublet, soulevant de nombreuses objections et proposant des études complémentaires, amène, en février 1967, le ministre de l’Agriculture, Edgar Faure, à différer le projet.

A défaut d’une réponse favorable à sa proposition de parc national, Jacques Florent, au fait du décret de mars 1967 relatif aux parcs naturels régionaux, propose, en janvier 1968, de créer un parc de nature de la haute vallée de la Clarée en se référant à ce texte et en suggérant que sa gestion soit assurée par l’éventuel parc national des Écrins. Deux ans plus tard, le 15 septembre 1970, le voilà nommé chargé de mission par le ministre, Jacques Duhamel, pour la création de ce parc et dégagé de toute obligation à l’égard de l’ONF. Auparavant, en avril 1970, il a présenté au Comité interministériel des parcs nationaux un projet assez différent de celui de son étude de 1965 dans la mesure où il englobe les glaciers de la Girose et de Mont-de-Lans. Il contribue à ce titre au numéro spécial de la revue forestière française consacrée en 1971 aux parcs nationaux.

Jusqu’au 27 mars 1973, date du décret créant le parc national des Écrins, Jacques Florent se mobilise pour donner corps et vie à ce projet, en espérant être le premier directeur du parc. En vain, car le député de la 2ème circonscription des Hautes-Alpes et premier président du parc, Paul Dijoud, lui impute un déficit de concertation notamment en ces termes : « les études ont été effectuées en fonction d’éléments essentiellement techniques et sans aucune référence aux préoccupations de certains agriculteurs, des organisations de chasse et d’une façon générale, sans aucun contact préalable avec les maires et les conseillers municipaux » . Et il lui préfère le DDA des Hautes-Alpes, Michel Dies. C’est une rude déception pour lui mais sa famille, enrichie d’une fille d’origine colombienne, Estela, adoptée en 1971 à l’âge de 11 mois par l’intermédiaire de « Terre des hommes », dont son épouse et lui-même sont d’ardents militants. Ses amis le soutiennent jusqu’à sa nomination, le 1er octobre 1973, comme chargé de mission pour la création du parc national du Mercantour.

La genèse de ce parc, relatée par Pierre Merveilleux du Vignaux, qui succède à Jacques Florent à la direction du parc en 1985, dans « L’aventure des parcs nationaux », publiée en 2003 par Parcs Nationaux de France, fut fastidieuse et dura six ans sous l’impulsion du chargé de mission et du préfet Pierre Lambertin. « Les deux hommes sont assez différents. Autant l’un, le forestier, est pressé, direct, convaincu (à juste titre) de sa haute compétence, parfois presque cassant, autant l’autre, le membre du corps préfectoral, est habile politique, dans un département sensible où il n’est guère facile d’imposer l’autorité de l’Etat... ; il y aura quelquefois certaines tensions entre eux, mais d’une manière générale, le tandem fonctionnera bien et permettra d’aboutir ». Fruit d’un arbitrage courageux arraché au niveau national par Michel d’Ornano, ministre de l’Environnement et du Cadre de Vie, le décret de création du parc est signé le 18 août 1979, malgré l’opposition de la plupart des communes. Le chargé de mission, Jacques Florent, reçoit des menaces de mort, les routes, les bâtiments voient se multiplier les inscriptions du type « Non au parc » Nommé directeur dans ce contexte, Jacques Florent sait, durant son mandat de six années, développer et faire reconnaître le parc aux niveaux national et local en tant que 6ème parc national, européen et international (jumelage avec le parc de Banff au Canada, préparation du jumelage avec le parc italien « Alpi Marittime »).

Promu Ingénieur général du génie rural, des eaux et des forêts, il rejoint fin 1985, à Paris, le Conseil général du GREF relevant du ministère de l’Agriculture et la Mission spécialisée d’inspection générale de l’environnement et de la qualité de vie dépendant des ministères de l’Équipement et de l’Environnement. C’est pour lui l’occasion de valoriser au niveau ministériel ses expériences d’ingénieur de terrain dans ses domaines de prédilection de la protection de la nature et de la prévention des risques naturels. Il réalise et produit ainsi une quinzaine d’enquêtes, d’études et de rapports de portée nationale dont une analyse de la politique des zones marines protégées en 1986, une réflexion sur la gestion écologique de l’espace rural en 1987, un cours sur la création des parcs nationaux à l’École nationale d’administration en 1988 et une enquête relative à la valorisation économique et sociale des sites nationaux protégés en 1989. Simultanément, il assure la représentation de la France aux comités d’experts « vie sauvage » et « zones protégées » au Conseil de l’Europe. Homme d’une grande rigueur intellectuelle, il reste néanmoins fidèle à une conception interventionniste de la gestion des zones centrales des parcs nationaux où activités agricoles et pastorales, aménagement forestier et gestion piscicole avaient leur place.

Juste avant son départ à la retraite, anticipée vraisemblablement à cause d’un mal implacable qu’il cache à son entourage, il rédige, en septembre 1989, à l’attention de son successeur à la MISE, en l’occurrence son ami Bernard Glass, une dernière note pour préparer l’enquête sur les conditions de réalisation des travaux en zone centrale des parcs nationaux. De retour à Nice à 61 ans, il se consacre alors à sa famille, à la pêche dans les lacs d’altitude, son sport favori, à des séjours alternés en Corse et en Bretagne et à des soins discrets pour maîtriser un cancer qui finit par l’emporter le 15 août 1996 à l’âge de 68 ans.

Jacques Florent est représentatif de cette lignée d’ingénieurs des Eaux et Forêts issus de l’école forestière de Nancy d’avant la réforme « Pisani » de 1965. Ecologistes avant l’heure, et grands commis de l’Etat, ils ont contribué à conserver la forêt française pour les générations futures et à établir les bases d’une politique publique de la protection de la nature. Jacques Florent a dû faire face à des intérêts économiques et politiques à court terme qui se sont parfois exprimés avec rudesse, ne ménageant pas sa personne. En dépit d’un management quotidien exigeant et méticuleux il avait le soutien, l’estime, voire l’admiration des agents placés sous son autorité.

Avant sa mort, il lui arrivait de douter de la qualité de son parcours professionnel et des services rendus à l’État : des amis proches s’acharnaient alors à lui rappeler qu’il fut le seul à avoir porté deux parcs nationaux sur les fonds baptismaux en France, celui des Ecrins et celui du Mercantour.


Par Patrick Singelin ,Bernard Glass
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