Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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MARTEL Pierre (1923-2001)

Pierre Martel naît le 28 mai 1923 dans une ferme du Revest-du-Bion (Alpes-de-Haute-Provence). Deuxième enfant d’une famille de paysans anciennement implantée sur le plateau d’Albion, il entame dès l’âge de six ans le parcours éducatif qui doit le conduire à la prêtrise. Il fréquente d’abord l’école libre du village de Banon, où il vit chez ses grands-parents. À dix ans, il entre à la Congrégation de Saint-Tronc, à Marseille, ne revenant au domicile familial que le temps des vacances scolaires. Entre 1940 et 1943, souffrant de maladie pulmonaire, il est envoyé au sanatorium. Il fréquente alternativement les établissements tenus par les pères jésuites à Hauteville (Jura) et par les dominicains sur le plateau d’Assy (Savoie). Durant l’été 1943, il revient au Revest-du-Bion pour un séjour de quelques mois, durant lequel il est initié à l’archéologie par Jean Barruol, un historien également issu d’une ancienne famille locale. Puis Pierre Martel repart à nouveau, à Toulouse cette fois, où il doit suivre la préparation à la prêtrise au séminaire Saint-Cyprien. Il y reçoit notamment l’enseignement de Mgr Saliège, renommé pour son engagement à partir de 1942 contre la politique du gouvernement de Vichy et la déportation des juifs. C’est durant cette période, de 1943 à 1945, que Pierre Martel parachève sa « vision du monde », ancrée dans les valeurs du catholicisme social que lui ont transmises ses parents, et qu’il se forge une véritable doctrine de « l’agir » qu’il n’aura de cesse, par la suite, de mettre en pratique.

Ce parcours de l’enfance à l’âge adulte, fait « d’arrachements » (selon ses propres termes) et d’éloignements successifs marque profondément Pierre Martel et contribue sans doute à renforcer son attachement au pays natal. En 1945, il quitte Toulouse et les œuvres sociales consacrées au « redressement de l’enfance délinquante » pour entrer au grand séminaire de Digne, choisissant en définitive l’apostolat dans son pays d’origine. Il est ordonné prêtre le 29 juin 1947 et prend ses fonctions le 1er octobre à Simiane-La-Rotonde, village situé à proximité du plateau d’Albion. À 24 ans, Pierre Martel a pour mission d’animer huit lieux de culte. Il expérimente d’emblée les principes et les méthodes de l’action catholique (mouvement d’apostolat des laïcs qui se développe en marge des structures traditionnelles de l’Eglise), dont il devient aumônier en 1949 et aumônier fédéral en 1959, liant étroitement dans sa pastorale les activités apostoliques aux activités culturelles.

Des gouffres aux Alpes de Lumière

Entre 1947 et 1952, il se consacre à ses passions : l’archéologie, la paléontologie et surtout la spéléologie, à laquelle il doit son surnom de « curé des gouffres ». Il élabore autour de ces pratiques une véritable pédagogie des lieux au profit des habitants, qu’il associe systématiquement à ses explorations et ses découvertes.

En 1950, il initie à Oppedette une action d’aménagement des gorges (site exploré et décrit par Edouard-Alfred Martel au début du siècle) par les habitants, pour en permettre l’accès aux chercheurs et aux touristes. Cette expérience préfigure la création trois ans plus tard, par Pierre Martel et une dizaine de notables des pays d’Apt et de Forcalquier, d’un mouvement pour la protection et la mise en valeur de la région délimitée par la Durance et les montagnes de Lure, du Lubéron et du Ventoux, à laquelle est donné le nom d’ « Alpes de Lumière » (AL). L’abbé Martel assume d’emblée la figure de « guide » de ce mouvement associatif, qu’il préside et dont les locaux suivent pendant une quinzaine d’années ses différents domiciles. Dès 1954, il fonde et dirige la revue Les Alpes de Lumière, dans laquelle il publie, outre des articles de différents collaborateurs, ses propres écrits de genres différents. Dans des sortes d’autofictions, il se met en scène sous le nom du « moine » ou de « l’ermite de Lure » et il dépeint son sentiment d’intimité avec la nature et les éléments premiers. Il rédige également une série de textes doctrinaux qui établissent les objectifs et les méthodes du mouvement.

À partir de 1957, Pierre Martel développe une réflexion sur la création d’une « zone » protégée ou « réserve » dans sa région de prédilection. À ce titre, il participe à la réunion organisée à Lyon par Gilbert André pour poser les bases d’une association des Parcs de France. Dès 1953, Pierre Martel, dans une étude sur « Les forêts du pays de Lure et du pays de Sault » (Bull. de la société scientifique et littéraire des Basses-Alpes), avait émis l’idée d’une « réserve forestière » qu’il appelait aussi « parc national de la Valbelle ». Il souhaitait alerter les pouvoirs publics sur les conséquences de la dégradation continue de cette zone, tant du fait des activités humaines (pastoralisme, extraction minière) que de particularités géologiques (phénomène karstique). L’étude débouchait sur un programme d’action, qu’il soumit au Préfet. L’idée évolua ensuite considérablement, sous l’effet des réflexions sur la notion de « parc culturel » et des premiers travaux destinés à élaborer le projet de Parc national de la Vanoise. En 1957, dans la revue Rivières et Forêts, Pierre Martel évoque la création d’une réserve naturelle pour la flore et la faune sur les hautes terres (Lure, Ventoux, plateau d’Albion), entourée d’une « zone résidentielle protégée ». Il s’agirait d’expérimenter un aménagement réussi du territoire, selon la formule : « ni invasion ni congélation ». Le projet, dénommé ensuite Grand parc de Haute-Provence, est durant la décennie 1960 la préoccupation centrale de Pierre Martel, qui lui consacre plusieurs numéros de la revue Les Alpes de Lumière et s’emploie, par le biais du mouvement associatif, à lui donner corps sur le terrain. Ainsi est créé dans une ancienne usine, à St-Michel-L’Observatoire, un centre culturel destiné notamment à former les « techniciens » du futur parc. Le lieu est géré par de jeunes permanents ou bénévoles, et on y développe des pratiques d’inventaire des « richesses naturelles et culturelles », des chantiers d’étude et de restauration du patrimoine etc. Dans le même temps, l’activité de diffusion des connaissances connaît un fort élan : la revue, toujours dirigée par Pierre Martel, publie désormais des numéros thématiques destinés à constituer une véritable « encyclopédie de la Haute-Provence ».

A la recherche d’un « Grand parc »


En 1965 cependant, l’armée annonce la création d’une base d’enfouissement des missiles atomiques au cœur du plateau d’Albion : le rêve d’un parc national s’écroule, mais l’abbé Martel milite plus que jamais pour obtenir un statut de protection pour les « Alpes de Lumière ». En 1966, il élabore un plan pour la création d’un parc naturel régional et il participe aux journées de Lurs-en-Provence sur les parcs régionaux organisées par la Datar (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale), du 25 au 30 septembre 1966. Entre 1969 et 1971, dans le cadre d’un contrat passé avec la Datar, Pierre Martel élabore un projet détaillé de « chaîne de sites aménagés » dans le pays de Forcalquier, conçu comme le prototype du futur Grand parc. Dans une inversion du modèle des parcs nationaux défini par la loi de 1960, le cœur (zone centrale) du parc en serait la partie habitée, dite « zone de vie », bordée par la zone « annulaire » des parties montagneuses. Le projet d’ensemble de Pierre Martel n’a cependant pas trouvé de forme véritable de concrétisation. Un espace protégé a bien été créé en Haute-Provence, mais dans une zone très réduite par rapport à cette vision initiale : le parc naturel régional du Lubéron (créé en 1977), pour la réalisation duquel Jérôme Monod (délégué à l’aménagement du territoire et à l’action régionale) installe un chargé de mission en 1971. Cet échec s’explique sans doute en partie par le fait que le projet de Grand parc était étroitement relatif à une vision personnelle, au contenu plus symbolique que politique et, de ce fait, difficilement appropriable par les habitants et les pouvoirs publics. Il ne fut que peu partagé au sein du collectif Alpes de Lumière et peu relayé par les élus : c’était « l’affaire » de Pierre Martel.

Les années 1968-1972 constituent une période de crise profonde pour Pierre Martel, sur le plan associatif comme sur le plan personnel. En 1968 en effet, il annonce son retour à l’état laïc et se marie avec une jeune ethnolinguiste spécialiste du provençal, Claude Andrieu. Il justifie sa décision dans un livre édité à compte d’auteur qu’il diffuse largement dans le cercle de ses connaissances, La foi sauvage (St-Michel-L’Observatoire, 1969). L’autorité de Pierre Martel au sein du mouvement Alpes de Lumière est par ailleurs remise en cause par la nouvelle génération de militants, ce qui conduit à l’éclatement de l’association et, au final, à un recentrage autour du cercle des « fidèles » de Pierre Martel.

À partir de 1971, les activités de l’association sur le terrain (initiation à la nature, balisage des sentiers, inventaire du patrimoine rural...) s’opèrent dans le cadre désormais institutionnel du « patrimoine »et de « l’environnement ». À titre personnel, Pierre Martel adhère aux groupements actifs dans ces deux domaines (la FNASSEM, Rempart, le COLINAT, l’UDVN 04, la Commission des sites...). Au nom d’Alpes de Lumière, il participe en 1971 à la création d’un comité départemental pour la protection de la nature placé sous l’autorité du préfet. En 1974, il collabore activement à un projet de centre permanent d’initiation à l’environnement (CPIE), dont il rédige le rapport d’orientation. Le mot d’ordre de Pierre Martel est alors la « concertation », qu’il estime indispensable à la résolution des problèmes environnementaux. Durant toute la décennie, il met sa plume au service de différentes causes environnementales et élabore des outils méthodologiques pour le montage de dossiers sur ces questions. Sous sa direction, l’association Alpes de Lumière, assume désormais des activités d’expertise dans le cadre d’une politique de contractualisation avec les pouvoirs publics : inventaire des sites naturels à protéger dans la région de Forcalquier pour le ministère de la Qualité de la Vie (1975) ; étude pour la sauvegarde de la montagne de Lure ; participation à la réalisation du pré-inventaire des monuments et richesses artistiques dans les Alpes de Haute-Provence, etc.

En 1980, Pierre Martel réalise une pièce majeure de son œuvre, sous la forme d’une exposition puis d’une publication intitulée L’Invention rurale. L’économie de la nature. Dans ce plaidoyer pour une société de non-gaspillage, il rend hommage à la civilisation matérielle paysanne et exprime son inquiétude face aux conséquences de l’exploitation irraisonnée des ressources naturelles.

La même année, Alpes de Lumière connaît sa réalisation institutionnelle la plus importante avec la création du Musée conservatoire ethnologique de Haute-Provence, dans l’ancien prieuré médiéval de Salagon. Après la mise en place du Musée, Pierre Martel se retire des instances dirigeantes d’Alpes de Lumière pour se consacrer à ses travaux d’études. Il continue toutefois d’animer certaines activités jusqu’à la fin des années 1990. Il décède le 21 janvier 2001 à l’âge de 78 ans.

Sources : archives de Pierre Martel (fonds Martel) et de l’association Alpes de Lumière ; entretiens avec des membres de l’association (2002-2004) ; revue Les Alpes de Lumière.

Cf. K.-L. Basset, Pierre Martel et le mouvement Alpes de Lumière (1953-1983). L’invention d’un territoire, La Tour d’Aigues, L’Aube, 2009.


Par Karine-Larissa Basset
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