Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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Histoire du castor et de sa protection

Cette journée d’étude de l’AHPNE s’est tenue le 20 septembre 1013 à Paimboeuf (Loire Atlantique) dans le cadre duBirdfair de la LPO pour la deuxième année consécutive. Le mot de bienvenue a été dit par Philipe de Grissac, vice-président de la LPO qui a justifié le thème du jour par le choix de la Ligue de défendre les oiseaux mais aussi la biodiversité en général. Le président de l’AHPNE, Henri Jaffeux, s’est félicité de ce second rendez-vous avec le Birdfair et a rappelé les récentes contributions de l’AHPNE à l’histoire de la protection de la nature et de l’environnement avant de donner la parole aux quatre intervenants : Rémi Bogey, Rémi Luglia, Emmanuelle Sarat et Valérie Chansigaud.

Le castor : un animal par Rémi BOGEY, naturaliste de la FRAPNA-Région

Se fondant sur les travaux de Georges Erome, spécialiste français du castor (une thèse en 1982), avec lequel il travaille, et agrémentant son exposé de photos prises en vallée du Rhône, le naturaliste rappelle que le castor d’Europe est un animal pesant de 20 à 35 kilos, comme un chevreuil (alors que le renard ne dépasse pas 7 kilos). La femelle donne chaque année naissance à une portée de un à quatre petits après trois mois de gestation. Le rongeur, de la famille des castoridés, vit en groupes familiaux composés d’adultes, de sub-adultes et de jeunes de l’année.

Castor à la nage (© Y. Vérilhac)

Présent sur l’ensemble du territoire jusqu’au XIe siècle, il ne persiste qu’une infime population, au début du XXe siècle, dans le Rhône méridional et en Camargue. L’arrêt des primes à sa destruction et sa protection lui procure un répit et son aire de répartition s’étend alors entre le Sud de Lyon et Marseille.

Contre-canal du Rhône (© G. Erome)

Après la guerre, la canalisation du Rhône et son aménagement pour les besoins de l’hydroélectricité va fortement perturber son milieu de vie en contraignant les rares individus restants à vivre dans les bras morts sauvages et les contre-canaux végétalisés, et aussi dans les affluents comme la Drôme, qui n’est pas aménagée, et le Gardon, qui peut être à sec l’été durant trois à quatre mois. Heureusement, le castor est un animal très accommodant, qui peut supporter de longues périodes d’à sec, mais aussi les bruits de la ville, puisqu’on trouve aujourd’hui des « crayons » (arbres coupés) en pleine ville de Lyon. Il supporte même le dérangement des loisirs nautiques qui se multiplient en basse Ardèche. Le castor a un pelage très dense, comme la loutre.

Arbres rongés par le castor (© G. Erome)

Contrairement aux croyances, le castor ne mange pas de bois, ni de poisson. L’hiver, il se nourrit d’écorces prélevées sur les saules et peupliers de la ripisylve (sur une distance de 30 à 40m de la berge). Ces espèces sont primordiales pour l’établissement pérenne de populations de castors. Il utilise du bois à défibrer pour faire sa litière. L’été, son régime alimentaire se diversifie. Il mange des plantes vertes et, parfois même, du maïs si il est planté trop près de la berge. Les nombreux passages du castor se traduisent au sol par des coulées caractéristiques. Il marque son territoire par des dépôts de castoréum sur la berge, aux odeurs de goudron et de suie. Ses sécrétions étaient utilisées comme fixateur de parfum et dans la pharmacopée.

Différents types de gîtes de castor (© G. Erome)

Ses gîtes sont de plusieurs types selon les lieux. Il peut se contenter d’une caverne naturelle qu’il aménage sommairement. Il peut creuser un terrier, dont l’entrée sera sous l’eau ou à proximité. La chambre peut se trouver à plusieurs mètres de l’entrée. Lorsque son terrier s’effondre, il le recouvre de branches qui le transforment alors en terrier-hutte. La hutte « vraie », toute en bois est plutôt rare en France, mais on trouve des huttes de plusieurs mètres de surface, pouvant compter jusqu’à 80 m3 de bois ! Enfin, le castor peur gîter dans un embâcle naturel formé par l’inondation.

Le castor est connu pour ses barrages. Dans de nombreux cas, il n’a pas besoin d’en construire. Mais il en fait pour agrandir son territoire aquatique, conserver l’entrée du gîte sous l’eau, ou pallier à un assec estival. Il place alors des branches dans le sens de l’eau, puis en travers pour le construire. Il se sert aussi de terre, de pierres ou autres matériaux de colmatage. Les dégâts aux vergers et aux peupleraies des rives se produisent uniquement en absence de ripisylve en bord de berge. La méthode la plus efficace pour prévenir et pallier à ces déprédations est de maintenir une bordure de saules ou de peupliers au bord du cours d’eau. La protection directe des arbres consiste à utiliser des manchons de grillage.

Arbres fruitiers protégés contre le castor (© G. Erome)

Après une disparition presque totale de cet animal fascinant, son observation, relativement facile, est maintenant un grand plaisir pour le naturaliste ou le curieux de nature, dans de nombreuses régions de France. La meilleure saison est de mai à août durant laquelle les activités diurnes sont les plus longues.

Der Biber (Die Gartenlaube, 1858 : 68)

Un animal sauvage au regard de l’humanité. Histoire du castor d’Europe par Rémi LUGLIA, agrégé et docteur en histoire, Membre associé du Centre de Recherche d’Histoire Quantitative, UMR 6583 (CNRS / Université de Caen Basse-Normandie), « Axe rural ».

D’emblée, Rémi Luglia constate que le castor a été peu étudié en dehors de sa fourrure, alors même qu’il a été le premier animal sauvage à être protégé en France (1909). Jusqu’au XIIe siècle, on le trouve dans toute l’Europe.

Répartition du castor en Europe au XIIe siècle (d’après Véron, 1992)

Au début du XXe, son habitat est réduit à des poches reliques, donc complètement fragmenté. Car le castor était très recherché pour sa fourrure, dont on faisait notamment des bonnets (comme celui de Rousseau sur un tableau fameux), puis des chapeaux de feutre au XIXe. C’était aussi une viande appréciée, que l’on pouvait manger en période de carême comme animal vivant dans l’eau. Enfin, son castoréum était une denrée précieuse.

Répartition du castor en Europe vers 1900 (d’après Véron, 1992)

Le castor était donc un animal utile, mais seulement une fois mort ! Le castor vivant a longtemps été considéré comme nuisible, car il était accusé de percer les digues, de ronger les arbres et d’inonder les cultures. Avant l’arrêté de protection, en Camargue, on donnait 15F par queue rapportée. D’où sa disparition totale en Angleterre dès le XIIe siècle, en Suisse vers 1804, en Belgique vers 1848. En Finlande, il disparaît en 1868, date à laquelle il est protégé… et réintroduit en 1935.

Louis Magaud d’Aubusson prend en 1895 la défense du castor (Bull. LPO, 1918)

Dès la fin du XIXe siècle, en France, des voix s’élèvent pour demander sa protection, tel Valéry Mayet à Montpellier, qui demande la suppression de la prime en 1889, tel Galien Mingaud en 1894 et enfin Louis Magaud d’Aubusson en 1895, qui va créer plus tard la LPO. Leurs demandes sont initialement rejetées mais, en 1909, les premiers arrêtés préfectoraux de protection sont pris dans les Bouches-du-Rhône, le Gard et le Vaucluse, puis en 1922 en Drôme, ce qui traduit une mutation importante des représentations des savants et des pouvoirs publics vers 1900.

Dès lors, le castor peut recoloniser la France. En 1930, il est signalé à Montélimar, et à Lyon en 1960. La première réintroduction en France a lieu en 1957, et la protection totale est décrétée en 1968. En 1974, 13 castors sont relâchés dans le Loir-et-Cher, afin de reconquérir le bassin ligérien. Il n’y avait plus qu’une cinquantaine d’individus en 1900 ; on en dénombre 15 000 aujourd’hui (estimation). Le castor est maintenant accepté et valorisé. Il cohabite parfaitement avec le ragondin et la loutre. Il a si bien reconquis le bassin de la Loire qu’on a retrouvé récemment trois cadavres sur le périphérique nantais !

Castor à la nage (© Michel et Vincent Munier)

La reconstitution des populations en France et le réseau castor. Emmanuelle SARAT, ingénieur à l’ONCFS

À l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, le réseau castor a été crée en 1987 suite à une circulaire du ministère en charge de l’environnement. D’après les données de l’ONCFS, il ne restait que 7 sujets en 1937. Grâce aux mesures de protection et de réintroduction, l’effectif est remonté à 2 000 en 1989, avec une répartition diffuse dans 50 départements. En 2010, l’effectif est estimé à 14 000 individus.

Carte répartition Castor France ONCFS 2012

Les 200 personnes du réseau sont chargées du suivi de la répartition de l’espèce et de l’évaluation des dommages aux cultures causés par le castor le long des cours d’eau, qui ne sont pas indemnisés, et de préconiser la meilleure protection des arbres et cultures, à la charge des propriétaires. On a le choix entre les gaines en grillage ou plastique, les manchons avec piquets, les clôtures électriques et les grilles anti-remontée. A l’inverse, pour faciliter le passage aux barrages, on installe des rampes. Pour éviter les inondations, on installe des siphons dans les barrages de castor, siphons qu’il faut entretenir en enlevant les branchages. Néanmoins, la solution la plus pérenne consiste à laisser une bande de végétation riche en salicacées (saules, peupliers) de 30 mètres de large le long des cours d’eau. Cette solution permet de satisfaire les exigences biologiques du castor et de réduire le nombre de dommages.

Protection (inefficace) d’un arbre contre le castor (© Patrick Rouland)

Depuis 1987, l’ONCFS a capturé 137 castors, dont 117 ont été réintroduits ailleurs. L’office s’est soucié de la compétition avec le castor canadien, qui s’échappe parfois d’élevages en Europe. Ce fut le cas dans l’Yonne où deux spécimens canadiens s’étaient échappés. Les 22 spécimens du groupe ont été finalement capturés et retirés du milieu sauvage. Des castors canadiens échappés d’Allemagne se sont retrouvés jusqu’en Belgique et au Luxembourg, mais n’ont pas encore atteint la France. On le sait grâce aux pièges à poils, qui permettent de recueillir les poils sur les fils barbelés et de les réaliser des études génétiques. C’est plus facile que d’étudier le crâne, qui est légèrement plus grand chez le canadien. Pour une réintroduction à succès, il faut au moins six spécimens d’une même famille. Elle va occuper une portion de cours d’eau de 1,5 km à 3 km, pas plus, et ne va pas pulluler comme le ragondin, rongeur exotique introduit souvent confondu avec le castor.

Fig. 14 : Castor (© Michel et Vincent Munier)

L’extermination du castor d’Amérique et sa sauvegarde : ou comment les sociétés gèrent la faune sauvage. Valérie CHANSIGAUD, (chercheuse associée à SPHERE, UMR 7219 CNRS-Paris 7)

S’agissant du castor canadien, Valérie Chansigaud explique qu’il faut étudier les extinctions des grands mammifères en Amérique sur le temps long, avant et après 1492. Elle observe que les deux espèces de castor peuvent s’hybrider, comme le bison avec les bovins d’élevage. Elle rappelle qu’il faut être prudent lorsqu’on lit les récits des premiers voyageurs européens sur la richesse de la grande faune américaine. Ainsi on a observé près de trois milliards de pigeons migrateurs au début du XIXe siècle – lorsqu’ils migraient le ciel était totalement obscurci – la surchasse dont ils ont été victime à contribué à l’extinction complète de l’espèce au début du XXe siècle. Cette abondance est pourtant un artéfact historique car les études archéologiques montrent que l’oiseau était plutôt rare avant l’arrivée des Européens. Ce sont les maladies transmises par ces derniers aux Amérindiens qui, en diminuant drastiquement le nombre des autochtones, a permis l’augmentation de celui des pigeons. De nombreux travaux décrivent ce qu’elle appelle « un paysage de la peur des animaux », de nombreuses espèces fuyant autant que possible la proximité des Amérindiens.

Vol de pigeons migrateurs (Ectopistes migratorius) (Bernd Herrmann et William I. Woods (2010). Neither Biblical Plague Nor Pristine Myth : A Lesson from Central European Sparrows, Geographical Review, 100 (2) : 176-186)

Au XVIIe siècle, on assiste à la « guerre du castor ». Les Européens s’installent en 1620 en Amérique du Nord, notamment en territoire iroquois. Les guerres, souvent ritualisées, avaient une grande importance pour les Iroquois. Certains prisonniers étaient adoptés (ils devenaient Iroquois) mais d’autres étaient torturés à mort. Ils entament dès 1620 une véritable guerre impérialiste pour contrôler les territoires de chasse du castor (la principale monnaie d’échange avec les Européens, essentielle pour acquérir armes et munitions) ce qui aboutit notamment à la quasi disparition des Hurons, alliés des français. Les Iroquois multiplient donc les razzias les uns chez les autres pour s’emparer des peaux de castors récoltées par d’autres. Ils n’hésitent pas à détruire les « cabanes » des castors (leurs huttes), de sorte qu’il n’y a bientôt plus un castor en pays iroquois (tout le Nord-Est de l’Amérique du Nord).

Cette guerre prend fin en 1680 et 1690, lorsque le monopole du commerce des peaux de castor revient entre les mains des Occidentaux, notamment de l’Hudson Bay Company et des autres compagnies étrangères : 10 000 peaux échangées entre 1620 et 1630 ; 80 000 peaux en 1640. Entre 1790 et 1810, deux millions de peaux sont exportées vers l’Europe. Entre 1820 et 1850, ce sont 18,5 millions de peaux qui traversent l’Atlantique. Le pic est atteint. En 1900, le marché retombe à 43 000 peaux. Finalement, la protection du castor n’est envisagée seulement que durant l’entre-deux-guerres, grâce, en particulier, à l’activité de Grey Owl, un trappeur anglais adopté par les Algonquins du Canada. Grey Owl était le surnom d’Archibald Stansfeld Belaney (1888-1938), personnage aussi énigmatique que singulier, l’un des premiers défenseurs de la nature au Canada. Cette transformation de la perception des Amérindiens en défenseurs de l’environnement atteint un cap dans les années 1960 et 1970, dont l’un des symboles est le discours mythique du chef indien Seattle… écrit en fait par un pasticheur américain.

Grey Owl [alias Archibald Belaney (1888-1938)]

Ces interventions ont été suivies d’un échange nourri avec les participants venus nombreux.

Voir aussi l’article de Rémi luglia : « Regards historiques anciens et nouveaux sur un animal sauvage »


Par Roger Cans ,Rémi Luglia
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