Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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L’ivoire de Mandela

Les résultats de ces rencontres l’auraient rempli de joie. Elles sont, en effet, porteuses d’espoirs. Celle de Gaborone, bien plus que celle de Paris, constitue une réponse appropriée à une situation d’une extrême gravité, comparative, mais certainement plus grave, que celle des décennies 70 et 80. Elle s’était traduite par une vaste mobilisation conduite par la France, le Tchad, le Burkina Faso et le Niger, avec le soutien de l’Europe et de nombreux autres pays. Elle conduisit, début 1990, la Convention de Washington, la CITES, à inscrire l’Eléphant d’Afrique en Annexe 1 de sa Convention ayant eu pour résultat immédiat l’interdiction du commerce de l’ivoire. Une décision qui permit alors un répit salvateur, la reconstitution des effectifs et, surtout, la restructuration sociale des groupes familiaux, articulée autour du matriarcat et de l’expérience des plus anciennes du groupe, base essentielle de cette survie.

La nouvelle boulimie de la clientèle chinoise constituée par l’émergence d’une nouvelle classe de possédants, a singulièrement contribué à aggraver la situation. Et ce pour deux raisons essentielles : tout d’abord parce que ces nouveaux riches renouent ainsi avec une tradition millénaire, une tradition qui fait de la possession de l’ivoire un marqueur social ; cette demande est, par ailleurs, facilitée par une présence plus massive de commerçants et d’entrepreneurs asiatiques en Afrique. Ces causes conjuguées ont spectaculairement relancé la demande de cette matière noble, enrichissant tout un ensemble d’intermédiaires et de réseaux de corruptions, parmi lesquels les faiseurs de conflits sur le continent et le financement de mouvements rebelles, partout où les régimes montraient des signes de faiblesses ou s’enlisaient dans une spirale d’effondrement (la Centrafrique longtemps pays riche en éléphants, de forêt et de savanes, en étant le triste et dramatique exemple).

Mettre fin à cette escalade meurtrière, qui depuis 3 ans a pris des proportions inégalées (près d’1/10 des 500 à 600 000 éléphants aurait disparus), était une absolue priorité pour l’espèce, mais aussi pour la biodiversité. Une telle décision ne pouvait se concevoir que si toutes les parties concernées acceptaient de s’asseoir autour d’une table, avec la volonté de stopper cette dérive. A Gaborone, ils s’y sont attelés durant 4 jours. Les résultats de ce plan d’urgence, en 14 points, sont inespérés.

Autour du Gouvernement botswanais, de l’UICN, de l’Association Traffic, de la CITES, un consensus a vu le jour parmi les Etats participants : principaux pays africains où se pratique le braconnage, pays de transit de l’ivoire (Malaisie, Philippines, Vietnam..), pays consommateurs (Chine, Thaïlande...). Ils se sont engagés, notamment, à traiter le trafic d’espèces sauvages comme un « crime grave ». Une classification qui permettra la coopération internationale, l’extradition et la poursuite des coupables, la saisie et la confiscation d’actifs. Les pays devront également renforcer les peines envers les braconniers et les trafiquants afin de les rendre dissuasives. Dans les pays acheteurs d’ivoire illégal, les Gouvernements prévoient la mise en place de stratégies ciblées pour influencer le comportement des consommateurs.

Au même moment (le 5 décembre) une table ronde, regroupant une vingtaine de pays, dont des chefs d’Etat (parmi lesquels on ne peut que s’étonner de voir figurer les Comores, petit archipel insulaire de l’Océan indien qui n’a jamais abrité le moindre éléphant ou d’autres pays où les populations d’éléphants sont insignifiantes) était organisée à Paris, à l’initiative de Nicolas Hulot ; elle fut conclue par une « Déclaration de Paris ». Elle engage les pays signataires «  à agir sans délai et de manière résolue » contre le braconnage et le trafic des espèces. A cette occasion le président François Hollande a déclaré, à l’ouverture de la table-ronde, « J’en appelle à la conscience des pays consommateurs. Acheter de l’ivoire par exemple, doit être un acte clairement puni ».

La France a annoncé qu’elle allait brûler son stock d’ivoire, issu des saisies douanières (comme le fait régulièrement le Kenya depuis 1990, mais aussi les Etats-Unis ces derniers mois) et à renforcer les sanctions financières encourues par les trafiquants. Dans le cadre de la coopération judiciaire et policière (Convention de Palerme) ce plan d’action prévoit de renforcer les moyens d’enquête des services judiciaires et de donner de nouvelles instructions aux procureurs pour mieux investir le champ de la criminalité faunique. Paris suggère d’harmoniser le régime des sanctions au niveau européen et le proposera au prochain conseil des ministres de l’Environnement. Elle souhaite enfin que les instruments juridiques internationaux existant pour lutter contre la criminalité internationale soient utilisés dans le cadre du trafic d’espèces, rejoignant ainsi l’une des recommandations fortes de Gaborone.

S’agissant de l’aide concrète que la France s’engage à apporter aux pays africains dans la lutte contre le braconnage, elle se traduira, dans un premier temps, par des opérations de conversion de dette. Le Gabon en sera un des premiers bénéficiaires, pour un montant de 10 millions d’euros sur cinq ans, ainsi que le Mozambique pour 4 millions d’euros.

Les résultats de cette réunion de Paris reprennent en grande partie les recommandations de Gaborone. Elles ont le mérite d’être présentées en marge du Sommet pour la Paix et la Sécurité en Afrique, organisé les 6 et 7 décembre à l’Elysée, en présence de la quasi-totalité des plus hauts représentants d’une cinquantaine de pays africains concernés par ce pillage continental.

On peut s’étonner qu’à cette occasion les représentants de la France n’aient pas rappelé, et ainsi justifié leur initiative, à savoir qu’il y a un peu plus de 20 ans notre pays, avec le Premier ministre Michel Rocard et le ministre de l’Environnement Brice Lalonde, avaient été les précurseurs d’une semblable mobilisation. Défaut de mémoire ou ignorance ?
Si ces résolutions passent le filtre des incantations et des bonnes intentions pour devenir réalités, elles constitueront alors un bel hommage posthume pour les deux plus grands Africains : l’éléphant et Mandela.

[NDLR]. Docteur en géographie tropicale (il a fait sa thèse sur les espaces protégés d’Afrique francophone), Gérard Sournia connait bien la problématique de la préservation de l’éléphant d’Afrique. Il a été délégué régional de l’UICN en Afrique francophone et membre de sa commission sur l’éléphant de 1985 à 2000. Il fut mandaté en 1989 par le gouvernement français pour négocier l’interdiction du commerce de l’ivoire. Il est l’auteur de l’ouvrage Des éléphants, des hommes et de l’ivoire (Sang de la terre, 2000). Il est membre de l’AHPNE]

Profitez de la lecture de cet article pour plonger dans l’histoire de l’environnement de l’Afrique du Sud en écoutant la conférence que la grande historienne Sud Africaine de l’environnement, Jane Carruthers, professeur émérite à l’Université d’Afrique du Sud a donnée dans le cadre du 44e colloque de l’Académie australienne des sciences humaines qui s’est tenu les 14 et 15 novembre 2013 à l’Université du Queensland à Brisbane et dont le thème principal était « La question de la nature ».

Son exposé était intitulé : « La question de la nature, ou la nature de la question ? ». Elle y a exploré la nature et le but de l’histoire de l’environnement en Afrique du Sud. Sa thèse est que les colons européens n’étaient pas en mesure de gérer l’environnement de l’Afrique du Sud parce qu’ils avaient mal interprété la nature de la nature africaine et ils ont créé un héritage qui perdure encore. Elle a exploré comment et pourquoi l’histoire de l’environnement a un rôle urgent à jouer dans cet héritage et devrait contribuer à des discussions sur des questions telles que la résilience et la durabilité environnementale et sociale ainsi que la justice sociale. Jane Carruthers soutient que les historiens de l’environnement sont bien équipés pour analyser les questions liées aux problématiques environnementales et sociales dans les pays émergents tels que l’Afrique du Sud.

Suivre le lien ci-dessus pour écouter le Podcast 55 du 19 novembre 2013 sur le site de Environmental History Resources : The nature of South African environmental history ou consulter l’article ci-joint.


Par Gérard Sournia

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